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Afrique du Sud: les «gogos», celles qui font bouillir la marmite [2/5]
Les « gogos » – un terme pour désigner les grands-mères dans plusieurs langues locales sud-africaines – sont l’un des piliers de la société sud-africaine. Alors que le chômage touche près de 35% de la population et que plusieurs générations vivent souvent sous le même toit dans les zones les plus défavorisées, beaucoup de ces grand-mères doivent contribuer à la vie de leur foyer avec leur maigre retraite, qui fait parfois office de revenu pour l’ensemble de la famille.
Ce reportage est soutenu par une bourse de l’International Women’s Media Foundation (Fondation internationale pour les femmes dans les médias).
A chaque début de mois, Rachel, 89 ans, est soulagée de recevoir le paiement de sa retraite. Le montant ne s’élève qu’à une centaine d’euros, mais cette somme modeste va l’aider à faire vivre toute sa famille. « Nous sommes neuf à habiter ici, indique-t-elle, et personne n’a d’emploi, donc ils dépendent de moi. J’utilise cet argent pour toute la famille. Pour envoyer les petits à l’école par exemple, ils sont trois à y aller. Si je disparais, je ne sais pas comment ils feront. »
Avec plus d’un Sud-Africain sur trois au chômage, les retraites des « gogos » jouent un rôle vital pour la survie des familles. Donc, pas de petits luxes ou de dépenses inutiles pour Kate, 73 ans. Elle fait la queue depuis 6h du matin pour recevoir son paiement en liquide devant ce bureau de Soweto. « En décembre, dans un magasin, j’ai vu qu’ils vendaient de la queue de bœuf, raconte-t-elle. J’en avais tellement envie, et c’était un peu plus de 5 euros. Je l’ai mise dans mon panier, mais ensuite je l’ai remise en rayon, je ne pouvais pas me le permettre. Car cette retraite, c’est le seul revenu qu’on a au sein de la famille. »
Pour améliorer un peu le quotidien, certaines continuent de travailler. « Ici, c’est ma place, indique Lulama Mali. Ça ce sont des casquettes, là des chapeaux… Et ça, ce sont des objets traditionnels. » Elle a commencé à vendre des bijoux et des accessoires sous les arcades de cette rue du centre-ville il y a plus de 25 ans, après avoir perdu son emploi dans une usine.
À 71 ans, elle ne s’est pas encore arrêtée. « Parmi mes enfants, deux travaillent et deux sont au chômage, affirme Lulama. Je les ai encore aidés, la semaine dernière, à acheter des uniformes d’écoliers, avec l’argent que je gagne ici. Honnêtement, j’aimerais me reposer, mais si je ne viens pas, comme mes enfants ne travaillent pas, leurs propres enfants en souffriront. »
Cette redistribution de leurs ressources se fait parfois au détriment de leurs propres besoins, comme l’explique Chantal Munthree, démographe pour l’institut sud-africain des statistiques. « Beaucoup sont obligées d’utiliser cette maigre somme d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille, comme la nourriture, les transports, les vêtements… Les plus âgées font des sacrifices, aux dépens de leur propre santé, de leur bien-être, ou de leur nutrition, afin de prendre en charge leur famille. »
Selon les chiffres les plus récents, les femmes de plus de 60 ans sont à la tête de près de 10% des foyers dans le pays.