Reporting
Afrique du Sud: les «gogos», celles qui voient le pays se transformer [5/5]
Les « gogos » – un terme pour désigner les grands-mères dans plusieurs langues locales sud-africaines – sont l’un des piliers de la société dans le pays. Elles ont vu l’Afrique du Sud se transformer, de l’apartheid, qu’elles ont connu et vécu, à l’élection de Nelson Mandela en 1994. Puis est venu le temps de la désillusion et des promesses non tenues. Alors que le climat est aujourd’hui morose, avec des scandales de corruption à répétition et un chômage record, ces grands-mères portent un regard d’ensemble sur l’évolution de la « nation arc-en-ciel ».
Ce reportage est soutenu par une bourse de l’International Women’s Media Foundation (Fondation internationale pour les femmes dans les médias).
De notre correspondante à Johannesburg,
La place a bien changé, mais la photo est toujours là, à l’entrée du musée. Sur ce cliché emblématique pris lors des émeutes de Soweto en 1976, on peut voir un jeune homme porter le corps d’un enfant tué par la police. « Le garçon qui est porté, c’est mon petit frère, Hector Pieterson, explique Antoinette Sithole. Et la jeune fille qui court à côté, c’est moi. Avant, le fait de regarder cette photo, ça me bouleversait complètement. »
À 62 ans, elle reconnaît, comme beaucoup, qu’après l’arrivée au pouvoir de l’ANC, tout ne s’est pas déroulé comme elle l’espérait : « On pensait que ça allait être génial, qu’on allait tous devenir millionnaires ! Mais ce n’était que des rêves, dans nos têtes. J’ai l’impression que, régulièrement, ce pays trébuche et tombe, mais ensuite il se relève, s’époussette, contemple ce qui a été fait, et décide de continuer ou de passer à autre chose. »
Des jeunes qui doutent
Avec un niveau d’inégalités parmi les plus élevé au monde et un taux de chômage de 35%, certains jeunes n’hésitent pas à penser que la vie était moins dure avant. Hors de question pour Suzanne Mothlala, 80 ans, de laisser dire ça, elle qui a connu le régime de l’apartheid.
« Ils ne savent rien. Et parfois, ils ne croient pas ce qu’on leur dit. À l’époque, on ne pouvait même pas se déplacer où on voulait, il nous fallait un permis. Il faut qu’ils gardent en tête ce que leur “gogo” leur dit : “La liberté qu’on a maintenant est bien meilleure.” »
« Aujourd’hui, on a régressé »
Plus de 45 ans ont passé depuis que Mmagauta Molefe a été arrêtée par la police pour son militantisme puis incarcérée au sein de la prison pour femme de Johannesburg. À 69 ans, son regard est toujours triste quand elle pense à ces années écoulées.
Des personnes sont mortes, elles ont sacrifié leurs vie. Mais aujourd’hui, on a régressé. Il y a toujours des gens qui vivent dans des bidonvilles, sans eau courante. Notre système scolaire s’est effondré. Et nous, la génération qui a grandi avec les dirigeants, nous sommes aussi coupables, car on ne les a pas vraiment affrontés, pour leur dire qu’ils agissaient mal.
Redonner le goût de la politique aux jeunes
De grandes figures de la lutte comme Desmond Tutu ou Andrew Mlangeni se sont aussi éteintes ces dernières années, et laissent un grand vide. Antoinette Sithole espère que la future génération saura trouver son chemin.
« Lorsque nous sommes descendus dans la rue, en 1976, nous l’avons fait pour les générations à venir, rappelle-t-elle. On ne peut pas juste dire aujourd’hui qu’ils n’ont qu’à se débrouiller. Tant qu’on est là, on doit les aider, et ils peuvent faire émerger de bonnes choses, j’ai encore espoir. »
La route sera longue pour redonner aux jeunes le goût de la politique, alors que moins de la moitié des Sud-Africains entre 20 et 29 ans sont inscrits sur les listes électorales.